ontologie

La torsion platonicienne – Castoriadis contre Platon

La présentation du rapport de l’ontologie au projet d’autonomie dans la philosophie castoriadienne, et de ce qu’elle doit ainsi à la pensée et à l’activité culturelle et politique de la Grèce du VIIe jusqu’à la fin du Ve siècle avant notre ère – conduit immanquablement à parler de celui qui, succédant à cette période, apparaît à la fois comme le philosophe grec par excellence, et à la fois comme le plus féroce opposant à l’idéal démocratique, « son ennemi juré » : Platon – « le plus grand de tous les philosophes »1, n’hésite pas à affirmer Castoriadis… Producteur à ses yeux d’une « deuxième institution de la philosophie », en ce qu’au-delà de l’activité de pensée philosophique qui se déployait depuis deux siècles au moins, et dont bien entendu il bénéficia, il instaurera le « discours philosophique, le mode d’argumentation, la définition des questions et leur engendrement réciproque indéfini, l’instrumentation de l’effort pour y répondre »2… Et Castoriadis accumule ses éloges : « ce que nous appelons aujourd’hui philosophie c’est toujours, sans aucun doute, Platon, même quand on est anti-platonicien », qu’à la suite de sa lecture, au contact de sa pensée philosophique, se fait sentir « l’impression, et plus que l’impression, la certitude qu’un travail a été fait et que l’on ne pensera plus désormais de la même façon, qu’il y a des erreurs qui ne sont plus possible et des galeries du labyrinthe à l’entrée desquelles nous avons définitivement poser l’inscription :  ‘Ici, impasse’ ». (suite…)

Castoriadis – Capitalisme, démocratie représentative, et hétéronomie sociale.

Malgré les parentés relevées avec d’autres imaginaires sociaux-historiques, le capitalisme constitue pour Castoriadis une forme de société particulière du fait qu’elle possède pour « trait caractéristique […] entre toutes les formes de vie social-historique […], la position de l’économie – de la production et de la consommation, mais aussi, beaucoup plus, des “critères économiques” – en lieu central et valeur suprême de la vie sociale »1. Tout d’abord, l’économie, considérée en tant que science de l’organisation et des processus sociaux, se présente comme participant de manière centrale et décisive à l’hétéronomie inhérente au capitalisme dont cherche à rendre compte Castoriadis2.. Y compris pour ce qui est du capitalisme non étatique, la prétention à la scientificité de l’économie renvoie selon Castoriadis à diverses mystifications, à commencer par celle contenue dans la signification imaginaire de la marchandise. En effet, l’attribution d’une valeur monétaire et le rapport d’équivalence ainsi artificiellement établi entre les choses (de plus en plus diverses, et non nécessairement matérielles), qui définit le procès de marchandisation, ne peut être dit déterminé rationnellement qu’en postulant l’existence d’un marché répondant à des demandes elles-mêmes rationnelles, satisfaisant ainsi à l’aspiration au bonheur qu’exprimeraient la société et ses individus. Or, non seulement cela revient à supposer l’existence d’individus d’ores et déjà autonomes, réfléchis quant à leurs ambitions et lucides dans leurs actions (c’est-à-dire non dominés par le discours de l’Autre), mais induit aussi par là même l’occultation de l’imprévisibilité irréductible de l’évolution des différents facteurs motivants les investissements et la production3. Castoriadis remarque que de manière plus paradoxale encore, l’irrationalité des comportements qui est niée ou ignorée par les théories économiques est en revanche savamment prise en compte et utilisée lorsqu’il s’agit de fabriquer de nouveaux besoins ou de nouvelles modes (intégrant de ce fait psychologues, sociologues ou encore neurologues aux objectifs de croissance économique). Par ailleurs, l’inclusion de la force de travail dans la catégorie de marchandise, et par conséquent la croyance en la détermination objective de sa valeur, représente selon Castoriadis l’un des leurres de la « pseudo-rationalité » du capitalisme4, ne serait-ce qu’en tant que l’évolution des salaires résulte principalement des luttes sociales sans lesquelles il est probable que l’accroissement de la production se serait confronté à l’insuffisance de consommateurs potentiels. De ce fait, la marchandisation des activités humaines illustre la double dimension – imaginaire et institutionnalisée – de l’hétéronomie sociale découlant de la prédominance de l’économie comme science et méthode de maîtrise rationnelle du social-historique au sein des sociétés capitalistes. En effet, l’idée d’une possibilité d’attribution objective de la valeur du travail, occulte d’un côté l’arbitraire inéliminable des valeurs, choix et orientations institués par chaque société, et de l’autre conduit à une autonomisation des institutions, se reflétant notamment par la perpétuation d’une structure de classe de la société, c’est-à-dire par l’inégalité économique et politique instituée. (suite…)

Castoriadis – L’imaginaire social ou la création d’un monde commun de significations

L’usage du terme d’institution par Castoriadis ne se limite pas uniquement à ce qu’il désigne dans son sens courant (école, sécurité sociale, tribunal, église, etc.…), mais englobe plus largement l’ensemble des manières-d’être instituées d’une société, considérant ainsi les langues ou les structures familiales comme des institutions, d’ailleurs parmi les plus fondamentales. Ces institutions sont dans cette optique inséparables des « significations imaginaires » spécifiques à chaque société, en tant qu’elles en sont les « incarnations »ou matérialisations dans le monde social; et ces significations imaginaires sont pensées par Castoriadis comme l’ensemble des mises en sens effectuées par l’imaginaire social, qui se déploie au sein des collectif d’individus, et à la condition duquel il peut y avoir individu et société. (suite…)

Castoriadis – L’imagination du vivant

L’originalité principale que Castoriadis attribut lui-même à sa philosophie consiste en sa conceptualisation de l’imagination comme « imagination première », par opposition à l’imagination seconde, celle dont il est communément question et à laquelle nous réduisons généralement l’imaginaire : l’imagination comme faculté de se souvenir ou de fabuler, imagination simplement imitative, « reproductive et/ou combinatoire »1. L’imagination première, que Castoriadis pose comme inhérente ou essentielle au vivant, dépasse selon lui de loin la capacité de représentation à posteriori dont la philosophie « héritée » traitait lorsqu’elle usait du terme, et renvoie à un champ de réflexion bien plus large, concernant les théories de la perception, le mode d’être du vivant, et, en ce qui concerne spécifiquement l’homme, le conduit à une conception particulière du sujet, de la liberté, et, in extenso, de la société et de la démocratie… Pour autant, Castoriadis ne prétend pas à l’absence d’écrits proposant une conception de l’imagination proche ou lui ayant permis d’élaborer la sienne, et au contraire, explore et puise dans l’héritage de la philosophie, d’Aristote à Merleau-Ponty, en passant par Kant, Freud et Heidegger2, les approches qui ont à ses yeux perçu mais ne se sont pas confrontées suffisamment à ce problème de l’imagination comme faculté de création… (suite…)