Castoriadis – La démocratie et la confrontation des doxaï

Contre Platon (et à partir du texte de Platon), Castoriadis prend parti pour Protagoras, si ce n’est rigoureusement parlant, du moins sur ce qu’il juge l’essentiel : « il n’y a pas de savoir assuré en politique, ni de techné politique appartenant à des spécialistes », il n’y a au contraire « que de la doxa, de l’opinion, et cette doxa est également et équitablement partagée entre tous »1. C’est à tout les hommes, rétorque en effet Protagoras à Platon, par le recours aux mythes, que Zeus accorda la justice et la pudeur, entre tous qu’il les partagea, « car les villes ne sauraient exister, si ces vertus étaient, comme les arts, le partage exclusif de quelques-uns »2. Ainsi, explique Protagoras, s’il faut bien entendu recourir aux spécialistes pour ce qui concerne leur domaine, et qu’à l’inverse, celui qui prétendrait donner conseil sur une discipline qu’il ne connaîtrait ni ne pratiquerait ne saurait être toléré, les Athéniens ont cependant raison « d’accueillir les conseils du forgeron et du cordonnier en matière de politique »3, et ainsi de permettre que tous puissent donner leur opinion sur la justice: puisque tous doivent posséder cette vertu (et feindra de la posséder s’il ne l’a pas), sans quoi l’existence de la cité elle-même serait impossible.

Castoriadis, s’accordant alors avec Pierre Vidal-Naquet, voit dans le discours de Protagoras un ensemble de « lieux communs de la réflexion démocratique de l’époque d’Athènes »4 et c’est la raison pour laquelle il lui accorde une importance particulière : il rendrait compte assez justement de la relation qu’entretenaient les Grecs avec la justice et la politique, de la manière dont ils déduisaient la supériorité de la démocratie comme mode d’élaboration de la politique. Protagoras énonce en effet l’une des raisons essentielles à ce que la politique soit le fruit d’une réflexion et d’une pratique collective, qui ne saurait exclure les moins bons, les moins aptes5 : la cité réclame des « citoyens  » en tant qu’elle est cité, (et l’argument est bien entendu tautologique), soit des individus « vertueux » – intéressés à la réflexion et à la pratique de la justice, s’occupant à raisonner, à débattre et à décider des bonnes lois, et enfin, les appliquant… La démocratie apparaît comme le meilleur régime à Protagoras, parce que dans une symétrie inverse par rapport à Platon, il établit que la politique doit être, à la différence des autres arts et techniques, l’affaire de tous : s’il n’y a besoin que d’un médecin pour soigner de nombreuses personnes dit-il, il faut en revanche que tous les citoyens possèdent les vertus politiques afin que la cité et ses membres soient justes6

La démocratie apparaît donc – et c’est l’un des aspects essentiels que Castoriadis retient afin de définir le projet d’autonomie – comme société et collectivité se représentant premièrement la politique comme affaire de doxa, et qui de plus (mais ce n’est que déduction du premier point) considère que tous les citoyens doivent être égaux d’un point de vue politique : que puisqu’il s’agit de réfléchir sur ce qui ne peut être qu’opinions, personne ne peut ni ne doit a-priori être empêché d’y prendre part; de même que seule leur confrontation publique permet à chacun et donc à la société, à la polis, de prendre une décision avec raisons – tout en sachant que ni ces décisions ni ces raisons n’ont rien d’absolues, mais constituent un moment de la pensée et des choix politiques de la collectivité que rien n’interdit de questionner à nouveau… Confrontation des opinions raisonnées (ou ayant au moins prétention à l’être) – confrontation des citoyens, compris comme politai – confrontation qui idéalement, paradigmatiquement, serait celle des « parésiastes »7 – et qui constitue la dynamique même du processus auto-instituant de la collectivité, qui donc, cela revient au même, manifeste l’autonomie de la société et de ses individus, vise et entretient un rapport libre à son institution, à son imaginaire institué – cette liberté elle-même ne pouvant signifier autre chose qu’un mouvement maintenu, et non une situation définitivement acquise : c’est à jamais qu’il faut choisir entre le repos ou la liberté8.

Un « désordre » s’auto-ordonnant, comme seule méthode d’ordonnancement de ce qui n’a aucun recours extérieur à lui-même pour appuyer ses principes et ses lois, son ordre… Désordre qui n’a qu’une seule alternative, « l’idéocratie », et qui s’y refusant pose la raison de son refus de tout principe d’ordre hiérarchique stable et pérenne concernant la sphère politique. Désordre des opinions qui s’affrontent, et, cela va de soi, indétermination du devenir d’une pareille collectivité – la démocratie apparaît comme le régime qui accepte qu’une part de chaos et d’incertitude participent à sa formation et à son ordonnancement. Puisque seul l’argument vaut pour défendre une loi ou une décision de gouvernement9, et que nul argument peut être établi une fois pour toute comme incontestable, il est manifeste qu’une telle collectivité ne peut prévoir ce qu’elle deviendra, c’est à dire ce que deviendront ses lois, ses normes, ses opinons dominantes, ses représentations, ses œuvres, etc. … Pourtant, et bien que nous l’ayons largement employé, le terme d’indétermination n’est pas celui de Castoriadis lorsqu’il s’agit de qualifier la dynamique démocratique d’une société autonome – il laisse celui-ci à C. Lefort10, et malgré l’opposition qu’il pose entre son ontologie de l’Être/étants magmatique et celles de la déterminité, ce qui s’oppose à proprement parler à ces dernières n’est pas tant l’indétermination que la création, dont effectivement peut être déduit l’imprévisibilité du devenir du social-historique, mais qui est celle des nouvelles déterminations que se donnera la collectivité… Et qui finalement est aussi celle de n’importe quelle autre société hétéronome, à la différence prés que cette imprévisibilité y est niée, et que certes, par cette négation à laquelle travaillent les institutions/significations établies, l’inertie de la société devient effectivement tendancielle.

Si donc l’indétermination et le conflit, la division, représentent des éléments inhérents à une société démocratique telle que la conçoit Castoriadis, ils tiennent cependant une place bien moindre que celle qui leur est accordée chez C. Lefort, qui, concentrant son analyse et son éloge de la démocratie sur ces points, en tant que caractères traçant la démarcation entre sociétés démocratiques et sociétés totalitaires, néglige selon Castoriadis ce qui pour lui est indissociable de la valorisation de la démocratie : la critique de la société actuelle, la dénonciation du caractère amplement illusoire et « spéctaculaire » de la souveraineté du peuple au sein de nos démocraties représentatives, ou encore la reconnaissance de l’incompatibilité radicale entre l’imaginaire et les institutions d’une société capitaliste et d’une société démocratique … La conflictualité que Castoriadis envisage comme l’un des aspect définissant une société démocratique ne saurait en effet se résumer à la mise en scène médiatique des divergences qui agitent les « représentants » politiques et leurs opposants, mais doit au contraire être comprise comme la conséquence directe d’une participation effective des citoyens aux décisions politiques. Certes, chez Lefort comme chez Castoriadis, l’idée de démocratie se rapporte à celle de l’absence d’une source transcendante de la loi qui en garantisse la légitimité ou qui en définisse l’horizon, et de-là, tous deux reconnaissent le conflit et la divergence des opinions non pas seulement comme le caractère indépassable de la démocratie en tant que société ayant perdu les certitudes qui fondaient ontologiquement son organisation, mais surtout, en tant que condition positive, telle la dimension à la fois constitutive et résultante de la dynamique démocratique elle-même : c’est uniquement si les opinions divergent que la politique peut être une activité collective et réflexive d’auto-institution et d’auto-gouvernement, de même qu’à l’inverse, une société ayant rompu la clôture représentationnelle pour s’ouvrir à l’interrogation politique et reconnaître celle-ci comme une affaire de doxa, en instituant le débat politique comme méthode d’élaboration continue du droit, vise aussi à produire une réflexivité qui, à moins de se rabattre sur l’idée d’une naturalité des comportements et donc de l’organisation des sociétés humaines, ne saurait produire des individus en parfait accord, à même de gouverner et de légiférer par consensus à tout propos… Néanmoins, la divergence qui oppose les deux fondateurs de la revue « Socialisme ou Barbarie » est de taille, puisque ce qui est visé par C. Lefort sous le terme de démocratie n’est autre chose que les sociétés libérales actuelles, alors que par projet d’autonomie Castoriadis entend tout au contraire un renversement et une transformation radicale des institutions et de l’imaginaire qui constitue notre modernité.

D’ailleurs, l’ensemble de notre propos sur le rapport qu’entretient Castoriadis à ce qu’il considère comme le « germe » du projet d’autonomie, c’est à dire au mouvement démocratique athènien, sous-tendait en quelque-sorte une critique sévère des prétentions démocratiques des sociétés « occidentales ». En effet, en faisant remonter l’origine de notre tradition démocratique à l’antiquité grecque – contrairement à Lefort pour qui elle débute la période moderne – Castoriadis s’emploie à mettre en valeur le caractère directe et effectif de la participation des citoyens à la sphère politique comme caractère définissant une démocratie, et finalement formule une critique sans concession des régimes « représentatifs » actuels qu’il qualifie d’« oligarchies libérales ». A ce titre, plutôt qu’avec son ancien collaborateur, la manière dont Castoriadis conçois et défend l’idée de démocratie comme projet incompatible avec l’organisation économiciste et pseudo-individualiste du capitalisme avancé peut plus aisément être rapproché à celle de J. Rancière, avec qui il partage (malgré de larges divergences, y compris sur des points essentiels), en plus de leur attachement respectif à l’analyse de l’expérience et de la réflexion grecque, l’argumentation selon laquelle l’absence reconnue de fondement (arkhe) à la société dissout toute justification des hiérarchisations des individus pour ce qui concerne la sphère politique et implique, au contraire, l’égalité des individus. Autrement dit, l’absence d’un ordre ou d’un principe à partir duquel fonder la société, ou pour reprendre les termes de Rancière, « l’anarchie » sur laquelle repose essentiellement la démocratie11, induit donc pour ces deux penseurs la reconnaissance de ce que le pouvoir politique doit être l’affaire de tous, qu’il n’y a pas de « titre à gouverner » et qu’en cela, la « démocratie » des experts qui se voile sous le masque de la représentativité et de l’intérêt général ne saurait à peine représenter l’ébauche d’une démocratie plus concrète, mais figure au contraire ce contre quoi l’exigence démocratique doit s’élever et s’opposer… J. Rancière parle ainsi de « gouvernement des savants »12 pour définir la réalisation moderne de ce qu’il appelle « l’ochlocratie », où le « multiple [prend] corps comme ochlos, dans la sécurité de son incorporation à l’image du tout »13, ochlos à rapporter au « fanstasme de l’Un bien ordonné »14… Il paraîtrait donc en partie possible de rapprocher l’articulation qu’opère Castoriadis entre l’idée de démocratie et celle d’une rupture de la clôture imaginaire et institutionnelle qui unifie et ordonne les membres d’une société hétéronome, de la perspective de Rancière qui pose le démos comme ce qui, dans une démocratie, « existe comme pouvoir de division de l’ochlos »15. Pour autant, y compris sur ce point, la convergence de ces deux auteurs reste très limitée, ne serait-ce qu’en ce que chez Castoriadis, la démocratie est constamment présentée comme un projet de société où le démos ne saurait être réduit à « un mouvement » d’arrachement ou « pouvoir de division » du fantasme unificateur que Rancière désigne comme l’ochlos, ni donc à une « puissance, [un] pouvoir de défaire les partenariats, les collections et les ordinations »16… S’il est vrai que la collectivité politique des citoyens doit pouvoir par principe questionner, réviser et même bouleverser l’ensemble de ses institutions et de ses lois, il ne s’agit là pour Castoriadis que de la poursuite d’une auto-institution lucide et réflexive comprise comme mouvement interminable : le démos peut se comprendre comme pouvoir de divisions dans la mesure où il est avant tout celui de l’élaboration d’une unité politique, pouvoir instituant collectif et créateur de la collectivité sociale, comme multiplicité citoyenne réuni par la loi et l’institution, mais aussi et surtout par l’espace public dans et par lequel la loi, l’institution et leurs devenir font l’objet de conflits, de débats, d’interrogations et finalement de décisions concernant leurs transformations ou perpétuations. En un mot, ce n’est qu’en tant que consciemment créatrice de l’ordre social que la collectivité est aussi, logiquement, destructrice de l’ordre que son activité politique et sociale remanie.

Finalement, c’est de nouveau la dimension de projet qui confère à la notion castoriadienne de démocratie sa singularité, car en effet, ce que Rancière perçoit comme manifestation du démos, soit l’intervention de ceux qui manifestent et revendiquent l’égalité contre l’ordonnancement social, et qui par là feraient surgir l’espace politique, le lieu du conflit ou de la « dissension » opposant démos et ochlos, serait perçu par Castoriadis plutôt à la manière « d’élans » ou de « poussées » vers l’autonomie, comme aspirations et luttes visant la démocratie, mais ne pouvant pas pour autant être conçu comme la démocratie ou la politique elle-même, dont les concepts deviendraient alors bien plus abstraits que ce dont il cherche à penser. La démocratie, selon Castoriadis, n’existe que dans la mesure où la liberté collective et individuelle n’est plus simplement une force d’opposition et de résistance, un potentiel d’interruption et d’irruption au sein d’une société hétéronome, mais qu’elle s’incarne effectivement dans l’activité auto-instituante de la société, et cela doublement : d’une part en tant que les institutions et les lois dépendent (directement) des citoyens, d’autre part en tant que ceux-ci se donnent effectivement pour objectif la liberté (individuelle et collective)17. Ainsi, en plus de reposer sur la participation effective des citoyens égaux, l’institution de la société démocratique telle que l’entend Castoriadis exige de réfléchir et de viser la mise en place des différents moyens à même de réaliser les conditions de possibilité de cette liberté – problème en lui-même déjà interminable, et qui illustre exemplairement la radicalité de cette conception de la démocratie comme processus, mouvement réflexif qui ayant rompu la clôture n’a plus espoir de se prononcer une fois pour toute, mais qui pour cette même raison permet à tous de se prononcer, y compris sur les moyens dont ils doivent le faire… Par conséquent, bien que chez Castoriadis comme chez Rancière, la démocratie ne saurait être confondu avec ce que conventionnellement nous désignons sous ce terme, en l’adjoignant implicitement ou non des qualificatifs de « représentative » et « libérale » (à « économie de marché »), et qu’au contraire, tous deux s’accordent à qualifier d’oligarchies nos démocraties occidentales, leurs approches respectives de la politique comme notion indissociable de la démocratie ne sont pas pour autant conciliables… Certes, pour l’un comme pour l’autre la démocratie et la politique ont à voir avec la prise en compte du « scandale de l’absence d’analogie entre la convention humaine et l’ordre de la nature »18, soit la considération de « l’absence d’une phusis du nomos », et ainsi ils considèrent la démocratie en rapport direct avec la reconnaissance explicite de « la contingence de toute domination » – ce qui s’exprime chez Castoriadis par l’exigence de « l’élimination de la domination instituée de tout groupe particulier dans la société »19. Néanmoins, alors que chez Rancière la politique, dont « la manifestation » est présentée comme « toujours ponctuelle et ses sujets toujours précaires », apparaît comme n’ayant ni « de lieu propre ni de sujet naturels », « le propre du dissensus politique [étant] que les partenaires ne sont pas constitués non plus que l’objet et la scène même de la discussion »20, chez Castoriadis, l’articulation de la politique et de la démocratie – ou en d’autres termes l’articulation entre l’ouverture perpétuée de la réflexion sur la justice, et l’auto-institution de la société en vue de la liberté collective et individuelle – signifie à l’inverse l’institution d’un « lieu », véritablement public, d’élaboration et de manifestation de l’activité politique des citoyens, qui en sont alors les « sujets » ou « partenaires » non pas « précaires » mais légalement établis comme tel, se reconnaissant mutuellement comme égaux…

Notes et références

1 CL4, p. 230

2 Platon, Protagoras, trad. E. Chambry, Paris, Garnier-Flamarion, 1967 p. 53-54

3 Ibid, p. 55

4 CL4, p. 230 ; c’est notamment de ce fait qu’il est sans scrupule dans son mépris vis-à-vis de ceux qui assimilent « pensée politique grecque » et philosophie platonicienne, puisqu’ainsi que l’illustre ce texte, c’est justement contre la pensée politique athénienne que Platon philosophe..

5 Mais seulement les « incapables », Zeus lui même posant pour loi leur condamnation… L’ambiguïté et le paradoxe est évident… Tous ont en partage la justice et la pudeur, mais certains d’entres-eux en seraient néanmoins incapables

6 L’exemple du médecin étant lui même prisé de Platon, mais c’est à l’inverse, afin de développer l’analogie entre médecine et politique… Ainsi que le montre la suite du dialogue, Platon (Socrate) estime que toutes vertus peuvent être rapportées à la vertu, et que par ailleurs leurs acquisitions peuvent être rapportées à l’acquisition de connaissances, liant ainsi vertus et sciences (et, in fine bien que cela ne soit pas dit dans le Protagoras, associant la vertu et la connaissance entre elles par l’Idée du Bien) . La vertu politique devant être synonyme d’une certaine science, si elle doit être enseignée, cela ne contredit pas, dans l’esprit de Platon, que l’activité politique soit finalement réservée à ceux qui auront été capable d’acquérir effectivement la vertu/science politique (ce qui n’est pas dit non plus ici) : de même que seul un bon médecin est capable de guérir un souffrant, seuls de bons politiques, éventuellement un bon tyran (un roi-philosophe), peuvent guérir par leurs soins une cité dépérissant – et dépérissant justement parce que tous, sans aucune compétence particulière, discutent d’égaux à égaux de ce qu’il convient à la cité et que ceux qui savent et sont vertueux ne sont pas entendus… Les uns devraient commander, et les autres se contenter d’obéir, incapable d’autre chose ( rejoignant finalement le statut d’esclave selon la définition d’Aristote).

7 Voir cours de Foucault sur le sujet : le parésiaste est celui qui parle sincèrement, sans considération pour le danger que peut entraîner ses propos pour lui-même, d’autres ou sa relation aux autres… Discours et attitude à distinguer de celle du sage, du prophète, du rhéteur ou encore du professeur, mais qui paradoxalement (du moins vis-à-vis de ce que nous venons de dire), est considéré, à partir du IVe s. nous dit Foucault (rejoignant ici Castoriadis sur la datation d’un retournement de représentation du régime démocratique) comme incompatible avec la démocratie, en opposition à celle-ci. Car si la démocratie faisait place à la parésia, elle se mettrait alors en danger; le parésiastique cherchant à dire la vérité est banni de la démocratie, mis à mort, tel Socrate condamné à boire la ciguë… Foucault illustre son propos avec la fausse apologie d’Athènes qui fut attribué à Xenophon, la constitution des Athéniens, qu’il serait certainement intéressant de faire dialoguer avec le discours de Protagoras sur lequel nous nous sommes arrêté, en ce qu’il fait l’éloge paradoxal et ironique du pouvoir des plus nombreux et pourrait ainsi apparaître comme une caricature poussé du point de vue que Protagoras défend. En effet, la constitution des Athéniens affirme qu’il faut que les plus nombreux gouvernent, donc les plus mauvais, quitte à faire une mauvaise cité, plutôt que l’élite des meilleurs, qui cherchant le véritable bien de la cité servent finalement aussi l’intérêt des meilleurs, donc, égoïstement, le leur… Il est clair que nous pouvons rapprocher un tel positionnement par l’absurde, sur son fond, aux positions platoniciennes : les plus nombreux ne sauraient être que les plus mauvais, et par là même ne sauraient vouloir ce qui est dans l’intérêt de la cité mais assimileraientau contraire leurs libertés à leur intérêt propre (nous suivons toujours Foucault)… Dans une optique plus platonicienne, il faudrait ajouter que ce n’est pas véritablement parce-que ce qui est bon pour les mauvais est mauvais pour la cité qu’ils ne doivent avoir part au gouvernement et à la législation, mais plutôt parce-qu’ils ne savent pas ce qui est bon, certes pour la cité, mais aussi pour eux même…

8 Ref Thucidide…

9 Castoriadis récuse l’assimilation des actes de gouvernement à une fonction exécutive (de la législation). Il note que si le gouvernement agit en théorie conformément à la loi, il n’applique aucune loi lorsqu’il décide d’un budget ou d’une guerre

10 Sur les divergences avec C. Lefort, voir notamment le Débat avec le MAUSS

11 Rancière, Aux bord du politique, Gallimard, Paris, 2004, p. 113 ; Rancière emploi le terme d’anarchie au sens de l’absence d’arkhè. Voir aussi La haine de la démocratie, La Fabrique, Paris, 2005.

12 Ibid. p. 71

13 Ibid. p. 66

14 Ibid. p. 70

15 Ibid. p. 66

16 Ibid. p. 67

17 Néanmoins, si la liberté est l’un des but que se donne une démocratie, elle n’est qu’un but parmi d’autres que doit se donner une société autonome – car avant d’être un objectif, la liberté ou l’autonomie est un moyen, celui d’une créativité et d’une réflexivité à même de s’exprimer et d’agir librement…

18 J. Rancière, La haine de la Démocratie, op. cip., p. 48

19 CdS (intro 79) , p. 9

20 J. Rancière, Aux bord du politique, p. 244

 

Cet article appartient à la quatrième partie de la série « Introduction à la pensée de C. Castoriadis ». Cette partie, « Le projet d’autonomie, vers une démocratie radicale », comporte les articles :

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